Solidité des bâtiments : L'architecte, responsable n°1
· Normal, c'est lui qui suit les chantiers de A à Z · Les intervenants dans le permis de construire jamais inquiétés La catastrophe d'El Hoceïma en a réveillé plus d'un. Depuis le dernier séisme qui a secoué la ville et ses environs, les discussions sur la sécurité vont bon train. Beaucoup s'interrogent sur les responsabilités des intervenants dans l'acte de bâtir. Qu'en est-il au juste? En cas d'effondrement d'un bâtiment ou de fissures béantes dans la superstructure, “c'est l'architecte ou maître d'oeuvre qui a la plus grande responsabilité. C'est à lui qu'incombe la mission complète de l'étude architecturale à la réception définitive des travaux. C'est Ahmed Azdine Nekmouche, président de l'ordre régional des architectes de Casablanca qui l'affirme. L'architecte peut donc être poursuivi s'il est démontré qu'il a failli à sa tâche et que les constructions ont été réalisées sans respect des normes réglementaires. Le propriétaire ou maître d'ouvrage peut également être jugé responsable s'il ne fait pas appel à tous les intervenants en amont nécessaires dans l'acte de bâtir, à savoir l'architecte, le bureau d'études, bureau de contrôle et laboratoire (c'est ce qu'on appelle la maîtrise d'œuvre). Si la structure porteuse du bâtiment comporte une faille, là c'est l'ingénieur conseil (bureau d'études qui réalise les plans de béton armé) qui est inquiété. De son côté, l'entrepreneur a une part de responsabilité s'il s'avère que le béton a été réalisé sans bon de coulage (ordre de la maîtrise d'oeuvre de couler le béton sur les aciers). En cas d'effondrement ou de fissuration, l'architecte ressort son dossier puisque c'est lui qui détient toutes les informations (bon de coulage, rapport des experts…), explique un architecte casablancais qui a requis l'anonymat. Si le bâtiment est fissuré, il faut le réparer c'est-à-dire le chemiser et le consolider. “Les intervenants jugés responsables doivent répondre de leurs actes”, souligne Chakib Jaïdi, également architecte à Casablanca. Dans les faits, même lorsque les habitants subissent des désagréments (fissures ou craquelages des murs), il est rare qu'ils entament une procédure pour connaître les responsables, encore moins qu'ils intentent un procès en justice. Les citoyens ne connaissent pas toujours leurs droits. A noter que les intervenants dans l'octroi du permis de construire ne sont pas responsables en cas d'effondrement d'un immeuble ou de fissure des murs. Ils se contentent d'examiner le dossier et de décider si oui ou non le projet mérite une autorisation. Leur principal outil de travail reste le plan de l'architecte. En plus des services administratifs (agence urbaine, préfecture, arrondis-sement et mairie), divers services extérieurs statuent pour délivrer le permis de construire. Il s'agit de la Régie d'eau, d'électricité et d'assainissement de la ville, des sapeurs-pompiers, du service de téléphonie et de l'ordre régional des architectes. Tous reçoivent des exemplaires de dossiers et les étudient avant de se présenter aux réunions des commissions. Ce sont les arrondissements (ou les mairies pour les gros projets), auprès desquels les propriétaires des terrains déposent leurs dossiers, qui distribuent des exemplaires à tous les services concernés. Lorsqu'un ou plusieurs services reçoivent leurs exemplaires en retard, le délai d'octroi du permis s'allonge. Et la procédure se transforme en un véritable parcours du combattant. Selon Ahmed Azdine Nekmouche, six à huit mois sont nécessaires pour décrocher le fameux document. L'agence urbaine, la préfecture et l'arrondissement s'assurent que le terrain est adapté au projet envisagé et que le propriétaire a fait appel à un laboratoire pour une analyse de sol avant de poser une masse sur le terrain. Si cette étape n'est pas respectée et que le bâtiment se fissure par la suite ou s'effondre, le bureau d'études et le propriétaire peuvent être interpellés. La Régie d'eau et d'électricité contrôle les normes techniques en termes de raccordement. Les sapeurs-pompiers vérifient, eux, que le projet assure une sécurité aux futurs locataires. Le responsable télécoms veille à ce que le terrain en construction puisse accueillir des lignes téléphoniques. Enfin, l'ordre régional des architectes s'assure que le bâtiment respecte les normes esthétiques et urbanistiques du lieu, surtout lorsque le projet est situé sur un axe majeur. S'il s'agit d'un projet touristique, le ministère du Tourisme a son mot à dire. Si c'est un bâtiment qui peut enrichir l'urbanisme de la ville, le ministère de la Culture se fait représenter... Une fois les travaux de construction achevés, une demande est faite pour obtenir le permis d'habiter. En principe, ce sont les mêmes intervenants qui se réunissent pour accorder le permis de construire, qui doivent se déplacer pour statuer sur l'octroi du permis d'habiter. L'objectif étant de vérifier hygiène, sécurité, plomberie, assainissement et filerie du téléphone. En fait, seuls des fonctionnaires de la commune se déplacent sur le lieu du bâtiment. Là, ils vérifient uniquement que l'immeuble a été construit conformément au plan. Un contrôle que beaucoup jugent insuffisant pour délivrer le permis d'habiter. Les documents nécessaires pour le permis de construire - La fiche d'identité du propriétaire du terrain signée et légalisée- Un document signé et légalisé qui engage le propriétaire à respecter les plans de l'architecte et l'autorisation de construire- Une demande d'autorisation écrite adressée au président d'arrondissement- Une fiche statistique avec description des ouvrages- Un certificat de propriété - Un plan de cadastre- Un plan de situation- La taxe des pompiers (deux dirhams le m2)- La note de renseignements à retirer auprès de l'agence urbaine- Des jeux de plan- Un cahier de chantier à retirer auprès de l'ordre régional des architectes- Un reportage photos du site.Si la construction doit se faire au nom d'une société, il faut ajouter les documents suivants:- Les statuts de la société- Un procès-verbal déléguant les pouvoirs au représentant de la société- Une fiche d'identité signée et légalisée de ce même représentant. Les intervenants dans la construction Les intervenants dans la construction d'un bâtiment sont généralement les suivants:- le maître d'ouvrage;- le maître d'oeuvre;- le bureau d'études;- l'entreprise;- l'organisme de contrôle.■ Le maître d'ouvrageC'est le propriétaire du projet. Il peut être une personne physique ou morale, une administration publique, privée ou autre.Le maître d'ouvrage est défini comme la personne chargée d'organiser les opérations d'investissement, de mettre en place les responsables des études, de contrôler les travaux.On distingue:Les maîtres d'ouvrage publics:- l'Etat et ses établissements;- les collectivités locales et leurs établissements publics.Les maîtres d'ouvrage privés:- les promoteurs et les constructeurs privés;- les maîtres d'ouvrage occasionnels, le particulier qui construit occasionnellement, l'industriel qui construit ou agrandit son usine, ou aussi le particulier qui bâtit pour lui-même. ■ Le maître d'oeuvre C'est une personne physique ou morale qui, pour sa compétence, est chargée par le maître de l'ouvrage de diriger l'exécution du marché et de proposer la réception et le règlement des travaux.■ Les bureaux d'études techniques Ce sont les organismes chargés d'étudier les structures porteuses des différents bâtiments du projet. ■ Le bureau de contrôleLe contrôle technique est exercé par des personnes physiques ou morales agréées par le ministère chargé de la construction. Elles sont désignées par le maître de l'ouvrage. Le contrôleur technique a pour mission de contribuer à la prévention des différents aléas techniques susceptibles d'être rencontrés dans la construction. Il intervient à la demande du maître de l'ouvrage et donne son avis à ce dernier sur les problèmes qui concernent la solidité de l'ouvrage et la sécurité des personnes Nadia BELKHAYAT le 09 - 04 – 2004 Source : Leconomiste.com
Casablanca, 100 ans d’histoire à travers 100 bâtisses historiques
Concocté par Casa Mémoire, le Guide des architectures du XXe siècle de Casablanca, premier du genre, tombe à point nommé au moment où les témoignages de cette richesse diverse s’écroulent les uns après les autres. Ville en devenir, au début du siècle dernier, Casablanca a attiré dans son giron une flopée d’architectes novateurs qui lui ont imprimé leur sceau non convenu.
Bien qu’offert gracieusement,le Guide des architectures du XXe siècle de Casablanca est, à plus d’un titre, précieux, parce qu’il permet de reconstituer l’aventure architecturale casablancaise, qu’il fait renaître des architectes inspirés aujourd’hui disparus et qu’il présente des œuvres d’art dont la furie bétonneuse et l’avidité spéculative auront fatalement raison un jour. L’œuvre de destruction avait commencé dès l’aube de l’indépendance, s’est poursuivie irrépressiblement et des pans entiers de la mémoire architecturale casablancaise vivent en sursis. «Produit par Casamémoire (association pour la sauvegarde du patrimoine architectural au Maroc), dans le cadre du projet Mutual Héritage et avec le soutien de l’Union européenne, ce premier guide présente un échantillonnage varié d’une centaine de bâtiments, sélectionnés parmi des centaines d’autres, aussi dignes d’intérêt», annonce l’éditeur.Tous les styles sont équitablement représentés, depuis le néo-marocain et l’art-déco jusqu’aux fonctionnel et l’économique, montrant ainsi l’étrangeté du destin de Casablanca, qui était passée du statut de bourgade banale à celui de laboratoire expérimental d’architecture.
Selon une idée reçue, Casablanca aurait pris son envol par la grâce sanglante du débarquement français de 1907.Rigoureusement inexact.Au vrai, l’antique Anfa, rebaptisée Dar-el-Beida au XVIIe siècle, endormie sur un champ de ruines pendant trois siècles, s’est éveillée au premier tiers du XIXe siècle.On la disait agitée de fièvre marchande.L’incursion française, amorcée par les marins du meurtrier Galilée, puis scellée par l’instauration du Protectorat, cinq ans plus tard, encouragea cette vocation.
En 1915, Casablanca s’était muée en une sorte de cité champignon urbanistiquement incohérente
Hubert Lyautey, nommé résident général, le 26 avril 1912, tint à hisser la ville au rang de pôle économique et industriel majeur.Dans ce dessein, il la dota d’un port à la mesure de son ambition.Vingt-deux mètres de la grande jetée étaient prêts en 1918. Casablanca faisait figure de nouvel Eldorado.Alléchés par la manne à recueillir, des flots humains s’y répandaient.Interdits de séjour, déserteurs, apprentis colons, aventuriers sans scrupules, écornifleurs, escros patentés, usuriers, jeunes loups aux dents longues, courtisanes vénales, requins de la finance, bourgeois prospères, aristos déchus, plébéiens corvéables à merci et bouseux chassés par la sécheresse y formaient une faune improbable. Très vite, l’ancienne bourgade désolée se mua en une mosaïque de peuples, d’éthnies et de confessions.On y croisait des Marocains, des Français, des Espagnols, des Portugais, des Russes, des Polonais, des Britanniques, des Suisses, des Américains, des Sénégalais, des Tunisiens des Algériens... S’y mêlaient, sans hostilité apparente, musulmans (25 000, à la fin de 1912), juifs (9 000, à la même époque), catholiques, protestants, anglicans, orthodoxesetathées.Une seule ombre au tableau : la pénurie du logement.
La médina, bien avant l’officialisation du Protectorat, se révéla impuissante à contenir la poussée démographique.On songea à planter au-delà des remparts.L’occasion faisant le larron, promoteurs et spéculateurs n’hésitaient pas à faire flamber les prix des terrains.En 1915, s’indignait l’architecte Albert Laprade, «Casablanca était alors en pleine fièvre.C’était la cité champignon, genre Far West.Les terrains, entre cinq et sept heures, étaient revendus trois à quatre fois aux terrasses des cafés».Si au moins les constructeurs accordaient leurs violons ! «Partout, les lotissements “étoiles” se créaient, chaque propriétaire ayant la prétention de faire de sa placette rayonnante le nombril de la ville future.Bien entendu, chacun travaillait pour son compte sans s’occuper du voisin.Aucun lien entre les élucubrations des sous-géomètres. Partout, l’activité, l’agio et le désordre», dénonçait Laprade.
Devant ce contristant spectacle, Lyautey prit la mouche.Après avoir examiné les propositions de tout ce qui comptait au Maroc en matière d’urbanisme et d’architecture, il chargea un ingénieur, du nom d’Albert Tardif, de concevoir un plan urbain pour Casablanca.Il fut diversement apprécié.Aux yeux de certains, tels Jean-Louis Cohen et Monique Eleb, co-auteurs de Casablanca, mythes et figures d’une aventure urbaine, son empreinte aurait marqué le destin de la ville, tandis que d’autres estiment qu’il n’avait fait qu’ajouter à la confusion ambiante.En tout cas, le fameux plan n’agréa pas à ses commanditaires, puisqu’ils mirent à contribution le directeur du Service spécial d’architecture et des plans de villes, Henri Prost.Auparavant, il avait procédé au relèvement de l’église-mosquée Sainte Sophie de Constantinople, élaboré le premier plan d’extension de Paris et croqué les tracés des cités impériales marocaines.
Malgré son savoir-faire, Henri Prost redoutait la tâche qui lui incombait.«Au commencement de 1914, la petite ville indigène était noyée au milieu d’un extraordinaire mélange de fondouks et d’habitations de tout genre, simples cabanes en planches, villas ou immeubles à cinq étages, s’éparpillant à plusieurs kilomètres des remparts, constatait-il.A première vue, c’était un chaos invraisemblable, sans voirie possible, tellement le développement avait été rapide, partout à la fois et en tous sens». Encore plus décourageant, l’absence de «législation, de plan de nivellement, de relevé des terrains et des constructions existantes». Cependant, Henri Prost ne s’avoua pas vaincu, il prit le taureau par les cornes, le soumit à sa volonté et dressa un plan de restructuration de Casablanca, si incomparable qu’il servit, par la suite, de modèle exalté, vanté, copié.
A Henri Prost fut dévolue la tâche de mettre de l’ordre dans la gabegie honteuse
Casablanca constituait un terrain en friche.Aussi, attira-t-elle des nuées d’architectes.Ils déboulaient de toutes parts : France (Ulysse Tonci, le premier installé à Casablanca), Tunisie (Dominico Basciano), Algérie (les frères Suraqui), Allemagne (Wolfgang Ewerth), Suisse (Jean Hentsh), Italie (Aldo Manassi), Pologne (Ludwik Zeligson), Uruguay (Adrian Laforgue)… Ils n’étaient pas tous qualifiés.Parmi les 142 «architectes» recensés par Cohen et Eleb dans leur ouvrage, douze, au moins, ne possédaient aucun diplôme, une vingtaine ont dû batailler pour obtenir leur patente, neuf étaient des ingénieurs de formation, un géomètre s’est converti en architecte.Les diplômes provenaient, pour une grande part, d’une école supérieure des beaux-arts, rarement d’une école spéciale d’architecture.
Quels que fussent leur niveau de compétence, l’étendue de leur savoir-faire ou le degré de leur rayonnement, les architectes, qui officiaient à Casablanca, ont, chacun à sa manière, apporté leur pierre au gigantesque édifice que représentait l’ancienne Anfa.De surcroît, ils n’avaient pas peu contribué au renouveau de l’architecture, et les meilleurs d’entre eux ont fait école.Ils s’en donnaient à cœur joie, contaminés qu’ils étaient par l’humeur ardente du résident général et néanmoins bâtisseur, Louis-Hubert Lyautey.Il prêchait la prise en compte du patrimoine architectural local.Appel entendu et bien entendu d’autant que les architectes étaient fortement épatés par ce style. «L’architecture qu’ils découvrirent au Maroc.Celle des habitations et celle des palais leur révélèrent par sa conception des vérités qu’ils recherchaient d’instinct.Ils eurent le sentiment que c’était à la suite de longues observations, du contrôle des faits, du mépris des formules qu’elle avait été créée, et avec quelle finesse dans le goût ! Quelle dignité dans le confort ! Cette leçon ne devait pas être perdue pour des esprits que pénétrait depuis le doute sur l’enseignement quelesécolesofficiellesleur avaient dispensé», témoignait Antoine Marchisio, auquel on doit, entre autres, la cité de Aïn Chok (1946).
Pas étonnant donc que les jeunes architectes se fussent jetés à corps perdu dans l’hispano-mauresque allié aux canons modernes.Ainsi que l’illustrèrent les conceptions des premiers bâtiments de la place administrative : la Poste centrale, construite entre 1918 et 1920 par Adrien Laforgue, avec son auvent rehaussé par des tuiles et ses arcs encadrant un panneau de zelliges, sa loggia baignée de lumières grâce à une coupole vitrée, le palais de justice (1922), œuvre de Joseph Marrast, pourvu d’un portail, serti de motifs marocains, couvert de zelliges verts et portant une visière d’un auvent de tuiles, enfin, l’hôtel de ville (1928-1936), composé par Marius Boyer à partir d’une thématique résolument marocaine.Dans les années vingt, architecturalement fécondes, les thèmes proprement marocains prévalaient aussi dans l’approche des immeubles.Apreuve,l’immeuble construit par les frères de Montarnal et Pierre Ancelle, à l’angle du boulevard de la Gare (Mohammed V) et de l’Horloge (Allal Ben Abdallah).
A la fin des années vingt, le style dit néo-marocain se mit à céder le terrain au moderne
Ceux à qui la fortune avait souri commencèrent à se sentir à l’étroit dans les appartements, fussent-ils somptueux tels ceux de l’immeuble - îlot dessiné pour le pacha El Glaoui, en 1922, par Marius Boyer.Leur souhait était de se retrouver en des espaces spacieux, aérés et verdoyants. C’est ainsi que se mirent à pousser à profusion des villas sur le boulevard Moulay Youssef, la rue d’Alger et les quartiers d’Anfa et de Mers-Sultan.Elles avaient en commun d’être conçues dans un style «néo-marocain», qui, précisent Jean-Louis Cohen et Monique Eleb, dénotait plus souvent «l’emprunt d’éléments décoratifs au répertoire marocain qu’une organisation spécifique de l’habitation».Illustration par la villa Bonan (Bd. Moulay Youssef, 1930), qui proposait, selon la volonté de Marius Boyer et Jean Balois, des tuiles vertes sur la façade et un intérieur à l’aspect d’hôtel particulier, ou la villa Laurent, sur la même artère et avec le même duo, où voisinaient néo-marocain à l’extérieur et art déco à l’intérieur.On peut dire autant de la villa de Haj Mohamed Mokri (Boyer et Balois, 1928), de la villa Violetta, à l’angle du boulevard Moulay Youssef et de l’avenue Jules Ferry (Moussa Ibnou Noussair), se présentant comme un mélange d’arabo-andalou et d’art déco, selon les principes des frères Elias et Joseph Suraqui.Et comment passer sous silence la villa Assaban et ses deux salons, l’un dans le plus pur style Louis XVI, l’autre mêlant fauteuils viennois et mobilier marocains ?
A la fin des années vingt, le style arabo-andalou se mit à battre de l’aile.Une nouvelle race d’architectes (Marcel Desmet, Erwin Hinnen, George Renaudin ou Paul Perrotte), formée à l’Ecole des beaux-arts de Paris, préconisait une esthétique dépouillée où le travail sur le volume primerait sur le décor.Mais il faut croire que ce qu’on appelait indifféremment hispano-mauresque, arabo-andalou ou néo-marocain avait la peau dure.Aussitôt, des voix s’étaient élevées, plaidant la cause d’un genre qui, firent-elles remarquer, pourrait parfaitement faire bon ménage avec le souci de modernité.Et de citer en exemple l’immeuble bâti, en 1929, par Adrien Laforgue, pour la Sinaf, rue Georges Mercie (Mohamed Smiha).Tirer parti des références locales soit, mais avec «modération».Tel était le parti pris d’un article de la revue Chantiersnord-africains, mentionné dans Casablanca, mythes et figures d’une aventure urbaine, imaginant que «de plus en plus, la sculpture, le staff, la décoration en relief, feront place à des surfaces décoratives, à des plages plus ou moins diversement coloriées, à des motifs céramiques utilisés avec beaucoup de mesure».
Les Habous, une exception
La mesure devint une règle absolue, scrupuleusement observée au fil de la décennie 1930-1940.Elle présida à l’élaboration des immeubles (Maret, d’Hippolyte Delaporte, 1932, sur l’ancien boulevard de la Gare);desvillas(voircelle conçueparEmmanuel Chain, rue Curie) et des bâtiments en hauteur, en vogue en cette période, tel l’immeuble Assayag, de Maurice Boyer, avenue de la Marine (Hassan Sghir).Peu à peu, s’imposa l’idée selon laquelle l’esthétique arabo-andalouse, tout en colonnes et arcs, importait moins que les précautions prises contre la chaleur, à grand renfort d’arcades, de portiques et de galeries.Voilà alors les références locales prises en compte en portion congrue.Elles allaient prendre une belle revanche, quand Albert Laprade pensa une «nouvelle ville indigène», baptisée quartier des Habous, œuvre du tandem Auguste Codet - Edmond Brian.
L’exception ponctuelle constituée par les Habous ne fit que confirmer la tendance vers un art dépouillé, empreint d’un souci de monumentalité, illustré, entre autres, par l’immeuble Bendahan, imaginé par Edmond Brion, en 1935, place Edmond Doutté (place du 16 Novembre), et fermement en rupture avec les années vingt, dominées, avec la bénédiction de Lyautey et de Prost, par l’hispano-mauresque.A l’issue du conflit mondial, l’art nouveau reprit sa suprématie, pendant que les références locales étaient convoquées à l’occasion de constructions de cités musulmanes, telle celle de Aïn Chock, dont Antoine Marchisio, chef du bureau d’architecture de Protectorat, dressa le plan, et où «toutes les traditions ont été respectées».
Si les années quarante se distinguaient par la partition art nouveau/tradition architecturale marocaine, celles qui prirent leur relais allaient surfer sur une modernité radicale.Manifeste aussi bien dans les immeubles de bureaux (Banque nationale du commerce et de l’industrie, par Alexandre Courtois, Place de France, 1950), que dans les hôtels (El Mansour, d’Emile Duhon, sur l’actuelle avenue des Forces Armée Royales, 1948), les cinémas (Lynx, construit par Dominique Basciano, en 1951, sur l’avenue Mers-Sultan), ou les stations service (celle du zoo, ouvrage de Gaston Jaubert, à Aïn Sebaâ, 1951) et les écoles (Mission française, de Jean-François Zévaco, 1960).Ce nouveau style, qualifié de «plastique» par Cohen et Eleb, fut porté très haut par Elie Azagury (villa Nahon, 1951), Jean-François Zévaco (villa Robic, CIL, 1952), Erwin Hinnen (immeubles Saturne et Océanie, 1951), ou Albert Planique (Groupe scolaire, rue de l’Yser, 1935).C’est aussi en cette époque que furent plantées des villas puisant dans les sources méditerranéennes, scandinaves et californiennes.Fin de l’histoire.
Et-Tayeb Houdaïfa,le 25-05-2011
Source : La Vie éco